• Lentement, le soleil tombait sur la mer, se noyait dans l'immensité calme de l'eau azur, incendiant l'onde tranquille, la colorant de mille feux. Et elle, elle reprit la mer. Elle embarqua sur son petit bateau de fortune, une petite barque de bois, ballotée par les flots, sans gouvernail ni voile. Pas de direction, simplement le doux vent d'une nuit d'été qui les portaient vers ailleurs. Alors, longtemps, elle resta assise dans le fond de la barque, à contempler le monde qui s'endormait, à se complaire de la brise fraiche dans ses cheveux, du fracas des vagues sur les rochers, au loin, et des senteurs marines dans ses narines. Le bateau tanguait à peine, berçant doucement son unique passager. Enfin, alors que la barque glissait toujours sur les eaux calmes et qu'on ne distinguait plus le port à l'horizon, elle se leva lentement et s'approcha dangereusement du bord de l'embarcation. Le bois du pont craquait doucement sous ses pas et elle sourit. La paix, elle l'avait trouvée, perdue au milieu de la mer, seule. La sérénité aussi. Le soleil avait disparu du ciel, révélant la lune pâle et ses milliers d'étoiles. Et elle resta là, tout près du bord, à contempler l'eau aussi sombre que de l'encre en cette nuit profonde, à peine éclairée par les étincelles de quelques reflets d'astres. Alors, elle ferma les yeux, profitant du presque silence et de l'atmosphère sereine. Ne pas laisser les souvenirs s'emparer de son corps, de son cœur et de son âme, ne pas les laisser lui prendre encore sa paix, son calme, son bonheur. Et pourtant, les voilà qui pointaient lentement, s'infiltraient par tous les pores de sa peau. Les images se succédaient dans sa tête, toujours plus sombres, plus violentes. Cruelles, elles continuaient à défiler derrière ses yeux clos, en boucle, jusqu'à ce que les larmes affluent derrière les paupières fermées. Les sentiments d'avant qui revenaient, les émotions de quand elle ne contrôlait pas encore ce qui se passait, quand elle n'arrivait pas encore à attendre le secret d'une nuit pour décharger sa peine. Et toujours ce même déchirement qui achevait de la briser, la transperçait de part en part. Elle ouvrit brusquement les yeux, parcourant la mer de son regard obstrué par les pleurs, lançant un ultime signal de détresse à l'immensité déserte qui s'offrait devant ses yeux.

    Alors une larme, une simple larme quitta son œil pour rouler le long de sa joue pâle, pure comme le cristal, et vint tomber dans l'eau, perturbant à peine l'onde tranquille. Déjà les souvenirs revenaient, accaparaient toute son attention, sans relâche. Et elle porta les mains à sa tête, les enfouit dans ses cheveux, les plaqua sur ses yeux, espérant peut être faire disparaitre ces horreurs qui hantaient sa mémoire. Le déchirement, encore, toujours. Elle tituba, un peu, beaucoup, et bascula dans l'eau. Pas une éclaboussure, pas un remous. Entièrement immergée à quelques mètres sous la surface, elle ne semblait souffrir ni du froid glacial de l'eau ni du manque d'oxygène. Les souvenirs disparaissaient lentement, s'évaporant dans l'eau. Et les rêves apparurent, volutes de fumée colorés aux formes indistinctes. Arabesque rose pâle, soleil vert prairie, sourire bleu azur. Comme une vague de chaleur qui l'apaisait peu à peu. Et puis brusquement, les volutes s'assombrirent, prenant des teintes inquiétantes, des nuages de sang qui planaient au dessus d'elle et projetaient devant ses yeux des images terrifiantes, déformées par la tempête qui venait de se lever, avant d'aller se fracasser sur les immenses récifs noirs et menaçants. Ombre vert émeraude, crocs couleur de sang, mort couleur de l'ombre.

    Et puis tout se tut et le soleil apparut. Elle remonta lentement vers la barque qui l'attendait sagement, et s'y hissa, avant de rejoindre le port. Elle n'était pas mouillée, ni frigorifiée. Juste reposée. Et elle n'avait pas peur d'abandonner ses rêves et ses espoirs, ses pensées et ses cauchemars. Parce que le lendemain, elle les retrouverait, dans la mer sombre et le silence d'une nuit d'été.


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  • L'homme le lui avait promis. L'oracle avait parlé et jusqu'alors il ne s'était jamais trompé. Alors Peter angoissait, la terrible prédiction résonnant dans ses oreilles. « Vous noierez vos filles ». L'idée était bien peu engageante, il fallait l'avouer, et ses quatre mots si terribles l'empêchaient désormais de dormir. Surtout que depuis peu, Jane était enceinte. Elle ne savait rien de ces terribles mots qui hantaient l'esprit du jeune homme et peut être était ce mieux ainsi.

    Le bébé ne devrait plus tarder. Peter se retournait encore et encore dans son lit en pensant au sexe de l'enfant. Et si c'était une fille ? Que se passerait il ? Pour essayer de se rassurer, Peter rejoua sur les mots de la prédiction. Vos filles. Il ferait en sorte de ne jamais avoir de second enfant, un point c'est tout. Un sourire forcé vint naitre sur ses traits crispés par l'angoisse tandis qu'il jetait un dernier regard à Jane, endormie, son ventre de femme enceinte ressortant sous la couverture de laine. 

    Les contractions. Jane souffrait et Peter ne savait plus que faire. La sage femme du village ne devait plus tarder, laissant pour le moment le couple dans un état de torture monstrueux. A chaque fois que sa femme se tordait sous la douleur, Peter entendait à nouveau la voix du vieil oracle dans ses oreilles. Et il tressaillait. Enfin, la sage femme arriva, une matrone de la quarantaine, déjà bien vieille donc, les cheveux grisonnants, le visage ridé, le corps large. Sans lui laisser le temps de discourir sur le sujet, elle fit sortir le jeune homme de sa modeste chaumière, le laissant seul au dehors, dans le froid de l'hiver, entendant derrière la porte de bois les hurlements déchirants de celle qu'il aimait. « Vous noierez vos filles ». La rivière se trouvait à trois pas à peine de là où il se tenait, langue de glace mortelle pour quiconque y tomberait. Le silence se fit, à peine troublé par le sifflement du vent. Enfin un dernier hurlement se fit entendre. La vieille le fit rentrer, le visage sombre. « Vous noierez vos filles ». Deux petites jumelles braillaient dans leurs berceaux blancs, aussi pâle que le visage de leur mère. Sans même un regard pour ces deux marmots au visage violacé de trop crier, Peter se précipita vers sa femme. Les yeux tournés vers le plafond, elle ne bougeait pas. Instinctivement, il savait qu'elle ne bougerait plus. La vieille était resté à l'écart mais quand l'homme posa ses yeux emplis de larmes sur elle, elle hocha simplement la tête à sa question implicite, puis sortit doucement. « Vous noierez vos filles ». Son regard se posa sur les deux êtres à l'origine de tant de malheurs. L'oracle ne s'était jamais trompé. Une lueur cruelle traversa ses yeux l'espace de quelques instants tandis qu'il s'approchait du berceau. Par la fenêtre, on apercevait la rivière. « Vous noierez vos filles ». L'oracle ne se trompait jamais.


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