• Mademoiselle passait chaque jour devant la petite bijouterie sur le grand boulevard pour aller travailler.  Et chaque jour, dès que ses yeux couleur d'océan apercevaient l'enseigne dorée de la petite boutique, Mademoiselle pressait le pas, s'extirpait difficilement de la foule dense pour venir se coller, le nez contre la vitrine. A cette heure ci, le magasin venait tout juste d'ouvrir et était encore entièrement vide. Et là, juste derrière la vitre, entre la grosse bague noire et les boucles d'oreilles serties de saphir, il y avait le collier. Il était magnifique et elle en rêvait même la nuit. Le bijou de ses rêves et le but de sa vie. Mademoiselle n'était pas mariée, n'avait pas d'enfant, et vivotait dans le petit appartement parisien de sa famille sans beaucoup dépenser. Et pourtant, elle travaillait tous les jours, s'appliquait du mieux qu'elle voulait dans son petit atelier de couturière, œuvrant jusque tard le soir, jusqu'à ce que ses doigts en saignent, simplement pour amasser l'argent suffisant pour acheter ce bijou hors de prix qui hantait ses nuits. Avec cette parure autour de son cou, elle aurait enfin l'air d'une vraie dame et pas seulement de la vieille fille, un peu ratée, de la famille.

    C'était un superbe collier aux reflets irisés, argent et rubis. Et malgré le prix exorbitant, elle s'imaginait chaque fois avec, la goutte rubis au creux de ses seins, révélant la pâleur de sa peau et la clarté de ses cheveux blonds. Et chaque jour, vivait dans ses yeux bleus une étincelle pourpre, fantôme de ses rêves. Mais Mademoiselle n'avait pas encore assez d'argent et finissait toujours par s'en aller travailler. Le soir, lorsqu'elle rentrait, les doigts engourdis et le corps courbé sous la fatigue, la petite bijouterie était déjà fermée et la nuit tombait. Pourtant, en se penchant bien, on pouvait apercevoir dans la vitrine plongée dans la pénombre les reflets d'argent de la parure qui dormait sur son présentoir, illuminée par les faibles rayons de lune. Alors Mademoiselle rentrait chez elle et mettait dans son vieux bocal à confiture, caché dans la penderie, quelques francs de plus, gagnés difficilement. Elle comptait et recomptait ses maigres économies, pestait quand elle devait piocher dans son argent pour quelque dépense pourtant nécessaire, calculant le temps qu'il lui restait à attendre avant de pouvoir faire son acquisition.

    Et chaque soir avant de se coucher, Mademoiselle ruminait contre Madame sa voisine qui affichait un luxe tapageur, outrageux même, des robes recouvertes de soies et de taffetas, ornées de rubans colorés,des parures d'or et des coiffures sophistiquées desquelles jamais une seule mèche de cheveux noirs ne s'échappait.

    Un jour, Mademoiselle, serrant fort son petit bocal à confiture désormais rempli, filait vers la bijouterie, sourire aux lèvres, et l'étincelle pourpre dans ses yeux encore plus présente que d'ordinaire. Elle rencontra devant la petite échoppe Madame sa voisine qui sortait, dans ses grandes robes colorées. Décidée de tout voir du bon côté en ce jour de fête, Mademoiselle remarqua amusée, une mèche de cheveux noirs qui s'était échappé de la coiffure compliquée de Madame. Elle suivit du regard le trajet de la mèche qui glissait farouche sur la gorge blanche avant de venir se loger dans le creux de ses seins, tout près d'une goutte rubis, pendentif d'une parure d'argent.

    Mademoiselle s'arrêta, et faillit laisser tomber le bocal à confiture. Son visage se décomposa alors que Madame sa voisine s'en allait d'un pas conquérant, un sourire triomphant sur ses lèvres peintes.


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  • Pour tous ceux qui rêvent de chaleur brûlante et de princesses d'ailleurs. Ceux qui rêvent à une couronne d'or et de lapis-lazuli. Voici de quoi attendre l'été.

    OoO

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