• Magic Show

    « Les enfants ont toujours aimé la magie. Désormais les adultes aussi vont l’adorer ! »

    Les mots étaient tracés à la peinture colorée sur les murs, un peu partout dans la ville. Alors que les autres graffitis avaient disparu dans l’obscurité quand le soleil avait cessé de se lever, cette fois ci ils semblaient resplendir, briller presque. Pouvait-on faire de la lumière le premier ingrédient d’une peinture ?

    Les premiers hommes à avoir déferlé dans les rues ce matin là se dirent que ce devait être un spectacle proposé par les Grands, par les Riches. Eux avaient la technologie suffisante pour avoir synthétiser du soleil liquide, n’est ce pas ? Probablement que personne n’aurait l’argent pour aller voir la représentation, il fallait bien payer l’électricité. Et personne ne choisirait de rester des mois dans l’ombre juste pour pouvoir voir deux ou trois tours de magie. Alors ils filèrent tous jusqu’à l’usine, prêts à travailler dix heures dans la pénombre, s’arrachant les yeux devant les machines, dans l’espoir d’obtenir de quoi manger, et quelques heures de clarté. Quelques heures pour lire, pour voir le sourire de cette femme qu’ils aimaient tant et les yeux pétillants de l’enfant dont demain ils auraient de nouveau du mal à percevoir les traits dans l’obscurité.

    Mais les derniers hommes à rentrer chez eux ce soir là avaient une étincelle d’excitation dans leur cœur qui guidait leur chemin. Quand ils passèrent devant les murs, de la peinture noire recouvrait désormais les lettres colorées mais la lumière ressortait malgré tout, faible halo projetant des ombres dans les rues. Si les Grands avaient recouvert le slogan, c’était qu’ils n’avaient rien à voir avec tout cela. Et à quand remontait la dernière fois que quelqu’un avait pris une décision sans l’accord des Grands ? Qui d’autre qu’eux pouvait monter des spectacles et promettre de la magie ? Alors les hommes rentrant chez eux saluèrent leurs femmes avec un entrain qu’ils n’avaient pas montré depuis longtemps. Bien sûr elles ne pouvaient pas voir le sourire sur leurs lèvres, mais elles percevaient un éclat dans leurs yeux qui apportait bien plus de lumière dans leur cœur que les deux heures d’électricité qu’ils avaient pu se payer ce week-end.

    C’est ainsi que les choses commencèrent. Le lendemain, les lettres colorées resplendissaient plus encore que la veille. Elles semblaient avoir transpercé la peinture noire, l’avoir faite fondre. La ville commençait à briller d’une lumière nouvelle, celle de l’espoir. Les gens laissaient derrière eux une trainée d’étincelles, qui s’élevaient dans le ciel remplacer les étoiles qu’on ne voyait plus. Cela continua pendant près de deux semaines.

    Mais le slogan disparut brutalement un  matin. Les premiers hommes à déferler dans la rue s’arrêtèrent devant les murs de la ville. Il n’y avait pas de peinture noire par-dessus, c’était comme si les lettres colorées n’avaient jamais été là. Etait ce là le spectacle de magie qu’ils avaient tant attendu ? Il fallut repartir pourtant, ils ne pouvaient pas rester indéfiniment à regarder le mur vide, il y avait du travail à faire à l’usine. La journée parut encore plus sombre que d’habitude. Il fallait plisser les yeux encore plus pour réussir à discerner ce qu’on faisait. Tout le monde rentra chez lui ce soir là avec une migraine. Et tous stoppèrent nets devant les murs de la ville. De nouvelles lettres colorées paraient les murs.

    « Minuit. Porte Sud. »

    Tous les hommes pris d’une transe, rentrèrent avec précipitation chez eux. Cette fois ci, leurs femmes ne les virent même pas entrer. Elles furent aveuglées par la passion qui jaillissait d’eux. Ils leur expliquèrent la situation. Hommes, femmes et enfants sortirent en masse dans les rues. Il était déjà près de onze heures du soir. C’était un flot continuel sur les boulevards, se dirigeant vers la porte Sud. Le silence habituel était remplacé par un long murmure. On n’osait pas parler à haute voix, mais il y avait tant à dire malgré tout. Qu’est ce que cela serait ? Y aurait-il plus de cette peinture étincelante ? Le magicien sortirait il l’espoir de son chapeau ? Changerait-il la blanche colombe en liberté ?

    La porte Sud était ouverte et de l’autre côté de l’enceinte de la ville il y avait un grand chapiteau comme dans les cirques d’avant. Le tissu rayé de rouge et de blanche rayonnait dans la nuit, animé d’une lumière intérieure. Le murmure était devenu une clameur, qui roulait, rebondissait d’homme en femme et de femme en enfant, chaque fois plus fort. Pendant les dix minutes qui restaient avant qu’il soit minuit, on entendit des rires qui n’avaient pas résonné depuis longtemps, et des chants s’élevèrent. Un cœur commun battait au milieu de la foule, au rythme des secondes, comptant jusqu’à minuit.

    Brutalement, les portes du cirque s’ouvrirent, laissant sortir une lumière aveuglante. Un silence mystique tomba sur l’assemblée. Personne n’osait bouger, parler, penser. Et puis un premier enfant s’avança vers cette lumière qu’il n’avait jamais vue, les bras tendus en avant. Quand il passa la porte, ce fut comme une explosion. Les gens se précipitèrent à l’intérieur derrière lui. Depuis l’intérieur du chapiteau on entendait désormais des exclamations stupéfaites et admiratives. Les rires et les chants avaient repris.

    Sous la tente, il y avait des hommes en costumes noirs qui accueillaient tous les spectateurs avec des sourires doucereux et des révérences obséquieuses, au milieu d’un monde chamarré, où les couleurs dansaient, resplendissantes. Elles étaient la lumière, elles étaient magiques. Car sous la tente il y avait aussi ces toutes petites cages de métal autour desquelles on se pressait. Et dans chacune de ces cages une toute petite fée, si petite que personne ne comprenait comment tant de lumière pouvait sortir de ce corps minuscule. Elles étaient aveuglantes, resplendissantes, et chaque personne touchée par les rayons de lumière se sentait soudain ivre d’allégresse. C’était le genre de lumière qui vous disait de danser, de crier au monde que jamais il ne pourrait vous faire tomber. La foule était plongée dans une hystérie collective devant les petites danseuses qui volaient en tout sens, se jetant désespérément contre les barreaux des cages. Chaque battement de leurs ailes décomposait la lumière et faisait rejaillir toutes les couleurs du spectre lumineux. C’était le nirvana, c’était le paradis, et cela dura toute la nuit.

    Mais à six heures du matin, les hommes doucereux s’approchèrent des cages et les recouvrirent d’un tissu étrange qui bloqua complètement la lumière, plongeant peu à peu le chapiteau dans l’ombre. Progressivement, les cris s’éteignirent eux aussi et le silence reprit ses droits en même temps que la nuit. Les hommes, les femmes et les enfants avaient appris à ne plus poser de questions. La lumière ne pouvait pas resplendir trop longtemps. La joie avait sa fin. Alors chacun ressortit, la tête baissée, clignant encore des yeux pour s’habituer de nouveau à l’obscurité.

    Il n’y avait presque plus personne sous la tente à part les hommes en costume noir. On ne voyait même plus qu’ils étaient noirs désormais. Ils se fondaient dans le décor. Mais un jeune homme, pas plus de vingt ans, s’approcha malgré tout de l’un d’entre eux.

    « Pourquoi vous êtes obligés de les recouvrir ? Si vous  nous les laissiez, elles pourraient éclairer toute la ville j’en suis sûre ! On n’aurait plus besoin de payer pour l’électricité ! »

    « Ce n’est pas comme ça que le monde marche enfin. Pour obtenir quelque chose il faut se battre. Nous avons juste estimé que vous aviez besoin d’un rappel de ce pour quoi vous devez combattre. Vous vous perdiez dans l’obscurité. » Répondit la voix qui désormais avait presque entièrement disparu dans l’obscurité. Il ne restait plus qu’une silhouette floue, presque intangible.

    « Vous pourriez nous aider ! » S’exclama le jeune homme, avec dans sa voix un accent désespéré. « Si nous avions celles là, nous aurions le pouvoir de nous battre. Vous savez bien que les choses vont rester telles quelles ! Ils sont tous partis sans rien dire. Ils n’ont pas protesté quand vous avez recouvert les cages. Rien ne changera. La nuit va reprendre sa place et ils oublieront même qu’ils ont jamais vu la lumière ! Vous devez nous aider ! »

    La voix qui lui répondit était cette fois ci plus diffuse. Elle ne venait plus de la silhouette en face de lui. Il n’y avait plus de silhouette en face de lui. Elle était partout autour de lui et pourtant elle avait déjà complètement disparue.

    « Ce n’est pas notre bataille. »

    Quand les derniers échos disparurent dans la nuit, le jeune homme était seul. Il n’y avait plus de chapiteau, plus d’hommes en costumes et plus de cages contenant de minuscules fées qui resplendissaient. Il n’y avait que lui, seul. En plissant les yeux, il repéra un halo pâle. Il le suivit. C’était un lampadaire. Il était à nouveau dans la ville, à côté de la porte Sud. Et le noir resserra son emprise son cœur. S’il ne se dépêchait pas, il serait en retard au travail. Et il ne pourrait pas acheter quelques minutes de lumière ce soir, pour raviver le souvenir dans son esprit qui chaque seconde se faisait plus intangible. Il n’y avait personne pour l’aider.


  • Commentaires

    1
    Lundi 10 Septembre 2018 à 21:08

    C'est "drôle" comme j'ai vécu le même rêve puis la même désillusion que les personnages au fil du texte... Je ne m'attendais pas à une telle fin. C'est mené d'une poétique et douloureuse manière. C'est drôle aussi comme l'idée des fées en cage m'a paru dérangeante : je ne sais pas si c'était voulu, mais je trouve qu'il y a un paradoxe dans une mise en abîme à travers le fait que ce qui apporte le bonheur est lui-même enfermé. C'est très mal dit, j'ai déjà fait mieux comme critique^^ 

    Au début, j'ai clairement été transportée dans le chapiteau, prête à en avoir plein les yeux (à la The Greatest Showman que j'avais vu juste avant en plus), et puis tout s'est éteint, c'est horrible comme sensation. La seule chose qui m'a un peu fait tiquer, c'est la manière dont est introduit le jeune homme. On est face à une masse, et d'un coup il en sort un personnage. C'est un peu maladroit, on en sait soit un peu trop sur lui, ça pas assez^^

    Bonne soirée à toi !

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