• Une rose noire avait dit un jour à une ébauche d'écrivain qu'elle était le savant mélange entre un millier de pierres de lune, une plume sombre et un sourire mutin. Et l'ébauche d'écrivain garda la formule, qui, bien que pompeuse, lui plaisait beaucoup. Si ce moins que rien qui passait ses journées à écrire avait eu à compléter cette définition, il aurait rajouter un morceau de parchemin, une fragance fruité ou encore une plume mal taillée. Un morceau de poème, un grand Baudelaire, sans doute. Mais l'ébauche d'écrivain n'y repensa pas vraiment et continua à écrire sans se soucier de qui il pouvait être. L'important n'était pas qui il était mais ce qu'il faisait et ce petit bout d'auteur avait suffisamment d'intelligence pour savoir que les deux se confondaient. Et quand l'auteur en herbe créa sur la toile immense d'Internet une petite page rien qu'à lui, il savait bien que ceux qui voudraient le connaitre, en sauraient bien plus sur lui en lisant ce qu'il écrivait nuit et jour plutôt qu'une simple description bâclée.

    Bâclée en effet car cet elfe malicieux à la plume cassée s'était déjà bien souvent essayer à l'art de l'autobiographie sans succès avéré. "Je m'appelle Udelire. Ou Eléa. Ou Artémis. Ou Astrale. Tout dépend du jour et de l'heure. Du petit bout d'Internet dans lequel je me love. J'ai 17 ans. Ou 21. Peut être 24. Qui sait ? J'aime bien écrire. J'aime aussi lire. Le reste ? Je dirais que ça ressort du domaine du privé. " Et petit elfe froissait la page, désespéré. Auteur minuscule n'était pas quelqu'un qu'on aime à rencontrer dans la vraie vie. Un peu trop dans son monde peut être. Un petit peu asociale aussi. Rêveuse et renfermée. Et puis tiens, le mot d'elfe ne lui va pas si bien. Car cet ébauche d'écrivain n'était pas forcément bien gentil La méchanceté ne lui fait rien, un peu menteur, un peu manipulateur. Ou tout simplement en manque de tout ce que les jeunes gens de son âge ont. Mais petit auteur a choisi sa voie et le monde des autres ne lui suffira pas. Minuscule dans le monde, les yeux rivés sur la lune, l'écrivain se demande, guidé par sa plume, si son existence a un but, si ses mots ont un sens, ses choix une possibilité d'aboutir. Minuscule grain de poussière. Pourtant une rose noire lui dit un jour que les étoiles n'étaient qu'amas de poussière. Et l'ébauche d'écrivain se raccrocha à cette idée tout en se renfermant dans ses textes et ses pensées.


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  • J'ai attendu tant de temps. J'en ai rêvé la nuit, j'attendais ce jour béni où enfin tu oserais te montrer devant moi, gigantesque monstre de flammes. Enfin, je sais que tu es là, ta lourde carapace pourpre reposant dans la caverne à quelques mètres de mon campement. Je n'attendais plus que toi. Le bal peut commencer. La mort t'attend mais je te veux réveillé. Je veux te voir te battre, déployer tes ailes au dessus de moi, sentir ton souffle chaud faire fondre la glace qui m'entoure depuis tant de mois déjà. D'ici deux jours, ton sommeil prolongé disparaîtra pour laisser place à la combativité naturelle d'un monstre tel que toi. Je veux entendre ton dernier hurlement de douleur alors que tu t'effondreras sur le sol congelé de cette longue plaine plongée dans un hiver permanent. Je veux sentir ton corps s'affaisser tandis que le pourpre de tes yeux prendra une allure terne et vide. Je veux sentir ton dernier souffle s'échapper de ton corps meurtri. Je veux savoir que je suis celui qui t'aurais tué, toi le monstre infâme qui hante nos contrées depuis trop longtemps déjà. Ne comprends tu pas ? Je veux ta mort. Rien de plus, rien d'autre. Simplement ta mort. Mais je veux que tu combattes, je ne serais pas un lâche qui t'abattra dans ton sommeil. Alors j'attends encore, j'attends que tu te réveilles, et pendant ce temps j'étudie les armes que mère nature t'a octroyé. Je peux te battre, je vais te battre.

    Je t'ai attendu trop longtemps. Voilà déjà deux jours que tu t'es réveillé. Je te voulais au meilleur de ta forme pour cette bataille. Je veux rester dans les annales, je veux que ce combat soit le plus épique de tous ceux dont on entend l'histoire dans le comté. Je me suis levé tôt ce matin, ait ramené mes longs cheveux de jais dans mon dos, ait revêtu ma combinaison de cuir fourré pour ne pas mourir de froid. Ta carapace te protège mais moi je ne porterais pas d'armure. Arc, flèches et sabres viennent se loger dans le creux de mon dos et à ma ceinture. Je suis fin prête. Lentement, déterminée, je sors de mon abri de fortune, découvre le paysage de désolation qui s'étend devant mes yeux comme chaque matin depuis mon arrivée aussi. Tout n'est que glace, rochers intrigants qui projettent leurs ombres inquiétantes sur la blancheur éternelle de la fine pellicule de neige. Le soleil intransigeant ne suffit même plus à réchauffer mon corps meurtri et fatigué mais peu m'importe. Il ne fait qu'éclairer le sol dont la pureté m'exaspère. Je veux le voir terni par ton sang, de la même couleur que tes iris, je veux voir ce sang couler à flots, souiller mes bottes de cuir et mon sabre.

    Voilà ton antre qui se dresse, énorme. Je n'ai pas eu beaucoup à marcher et l'adrénaline exalte mes sens. Je n'ai plus froid, je ne suis pas fatiguée. Non, j'ai hâte. Tu dois savoir que je t'entends, que je t'attends mais tu ne te montres pas encore. L'entrée de ta grotte est noire comme la nuit, entourée de ces rochers qui se dressent vers le ciel. Je retiens ma respiration en entendant une de tes lourdes pattes se soulever puis retomber sur le sol. Je sais que tu te lèves. Puis un rugissement énorme s'échappe de ton repaire, qui fait trembler le sol. Mon cœur rate un battement sous le poids de l'excitation à son comble. Deux perles pourpres pointent désormais dans ma direction, me dardent, me sondent. Lentement tu sors dans la lumière glacée. Superbe face à la mort qui t'attend. Je n'ai pas peur. Enfin ta tête monstrueuse pointe au dehors, surmontée d'une crête aux pointes acérées. Tes ailes immenses se dressent de chaque côté, lisses et dures comme de la pierre. Seul ton poitrail est vulnérable mais jamais tu ne me laisseras t'approcher. Tant mieux. Je ne veux pas que cela soit trop facile. Tu te dresses sur ton promontoire, immense, superbe. Ma première flèche vient se glisser contre la corde de mon arc. Je m'agenouille face à toi. Noble, tu me laisseras porter le premier coup et tu continues à me regarder, hautain. Mon souffle se bloque complètement. J'hésite à tirer directement vers le cœur. Non, je veux une vraie bataille. Le temps semble s'arrêter autour de moi, tandis que je relâche la flèche, qui file droit vers ta mâchoire qui s'ouvre lentement. Je suis sûre que le temps a ralenti pour laisser à mes yeux ébahis le temps de m'extasier devant cette scène fantastique. Ta gueule ouverte révèle des crocs luisants qui pourraient me déchiqueter aussi facilement que si je n'étais que brindille. L'air se réchauffe sensiblement près de ta gueule tandis que la flèche file toujours. Enfin une gerbe de flammes jaillit, carbonise mon misérable trait, vient se perdre dans la neige, noircissant même la terre sous la glace désormais disparue.

    Le temps s'est remis en marche, je t'ai mis en colère. Un sourire de satisfaction s'étend sur mes lèvres tandis que je prépare ma prochaine flèche. Te laisserais je d'abord attaquer ? J'hésite, te laisse le temps de prendre ton envol. Tu en profites d'ailleurs et lentement tu t'avances. Tes pattes griffues résonnent sur la pierre tandis que tu déploies tes ailes. Une dernière gerbe de flammes s'échappe de derrière tes crocs luisants et insensibles à cette chaleur immense. Enfin tu prends ton envol, majestueux animal, et disparaît quelques instants hauts dans le ciel. Puis je te voix passer devant le soleil polaire, immense ombre sanguine, avant que tu ne revienne et fonde sur moi, griffes en premier. J'ai eu peur que tu ne cherches à t'enfuir. Tu passes, je tire. La flèche atteint ta patte en un nouveau rugissement de douleur qui fait trembler la glace sous mes pas, provoquant même l'éboulement de quelques roches qui vinrent rouler jusqu'à mes pieds. Tes griffes me lacèrent l'épaule et je sens mon sang couler lentement, se mêler au tien sur la glace déjà rouge. Et je comprends. Je ne veux pas ta mort, je ne veux pas ton sang. Je veux notre sang, le voir se mêler pour former le plus beau des breuvages, je veux mourir dans ce bain carmin qui brille déjà au soleil.

    Mais toi tu l'as déjà compris. Tu t'es reposé face à moi, sur tes pattes arrière, les ailes déployées, une lueur de folie dans le sang de tes yeux. Une nouvelle flèche vient s'enfoncer dans ta chair. De nouveau, tu rugis mais plus rien n'est comme avant. Je sais que tu n'attends que notre mort, tu laisses le sang couler. Laissant là arc et flèches, je sors mon sabre et me précipite vers toi dans une étreinte mortelle. Un ballet d'un nouveau genre se forme entre nos deux corps à l'unisson. Tes griffes lacèrent ma poitrine mince et blanche tandis que ma lame s'enfonce dans la tienne, rouge et épaisse. Bientôt nous tomberont, ensemble. La douleur me semble si belle en ce jour de gloire. Mes yeux se plongent dans les tiens, nous vacillons sous le poids de nos blessures respectives. J'attends la fin tandis que cette danse macabre continue encore. Je virevolte comme pour échapper à tes griffes et tes crocs acérés pour en vérité mieux y tomber. Et tu fais de même.

    Enfin, mes forces m'abandonnent et je tombe à terre. Peu après, je sens le choc lourd de ton corps qui se renverse sur le côté. Le sang qui s'écoule de nos plaies vient se mêler dans la glace en un tout autre bal. Il tourne, tourbillonne, virevolte. Je ne fermerais pas les yeux, les garde rivés dans les tiens. C'est à qui mourra le premier. Le liquide s'écoule le long de ma nuque, ternit le noir de mes cheveux, brouille ma vision. Je te sens partir. Tant mieux, je ne tiendrais pas longtemps. Mais rien ne sert de me battre contre la mort. Lentement mes muscles se relâchent, un dernier éclair traverse mes yeux. C'est la fierté de t'avoir battu, d'avoir accompli mon objectif. Je suis heureuse de ne pas t'avoir survécu. Qu'aurais je fait ensuite ? Je n'ai vécu que pour t'abattre, pour que nos sangs se mêlent en s'échappant de nos carcasses vides. Nous expirons en même temps et ce dernier souffle commun monte au ciel vers le soleil froid qui contemple la scène, froid et dur. Et ce dernier morceau de notre âme expirante vient mourir dans le feu de cet astre tandis que nos enveloppes charnelles restent sur le sol glacé, au milieu du bal de nos sangs qui se mêlent. Je suis ton sang, tu es le mien. Tout est donc fini. Adieu.
     


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