• On n'a qu'à dire qu'aujourd'hui était un mauvais rêve,
    Et on passe à demain.
    On n'a qu'à fermer les yeux sur le jour qui se lève,
    Laisser passer le matin.

    Et pourtant le sol tremble sous mes pas,
    Et pourtant le froid sonne le glas,
    Les retourneurs de temps n'existent plus
    Ou peut être même qu'ils n'existent pas.

    Voix électronique débitant des inanités,
    Parmi lesquelles l'Antéchrist s'est levé.
    Je suis dramatique, je suis paniquée,
    Faites qu'on puisse tout recommencer.

    On n'a qu'à dire qu'aujourd'hui était un mauvais rêve,
    Et on passe à demain.
    On n'a qu'à fermer les yeux sur le jour qui se lève,
    Laisser passer le matin.

    Comme le créateur d'un monstre cauchemardesque,
    Je tiens dans mes bras le corps de ma mère morte.
    Le cadavre se déforme et devient grotesque,
    Je le jette au loin et je ferme la porte.

    Et n'est ce pas ce que nous faisons tous ?
    Créer des monstres et les jeter à la rue,
    Crier contre le monde qui nous tue,
    Tuer le monde qui en avant nous pousse. 

    On n'a qu'à dire qu'aujourd'hui était un mauvais rêve,
    Et on passe à demain.
    On n'a qu'à fermer les yeux sur le jour qui se lève,
    Laisser passer le matin.

    La musique résonne comme une cloche funèbre,
    La lumière disparait dans les ténèbres.
    Ma mère est morte, je m'enfuis
    Du monde j'avorte, et j'en ris.

    Aujourd'hui le monde a choisi, a décidé
    Et la planète a continué de tourner.
    Aujourd'hui le monstre a gagné, a souri
    Et la fête a continué ses paris.

    On n'a qu'à dire qu'aujourd'hui était un mauvais rêve,
    Et on passe à demain.
    On n'a qu'à fermer les yeux sur le jour qui se lève,
    Laisser passer le matin.


    votre commentaire
  • Quand Madame Granne se réveilla, elle ne trouva personne à ses côtés. Mais c'était normal parce qu'Hervé se levait toujours très tôt le matin. Qu'importe que derrière les rideaux fermés, il était seulement deux heures du matin. Ce qu'elle ne savait pas ne pouvait pas lui faire de mal. Oui, Hervé était déjà levé. D'ailleurs elle pouvait l'entendre qui jouait du piano dans le salon. Elle sourit. C'était une bonne journée qui commençait. La valse qui résonnait dans tout l'appartement lui donnait envie de danser comme si elle avait vingt ans à nouveau. Ou trente. On ne peut pas vraiment bien danser la valse avant trente ans disait sa mère. Elle se leva de son lit et s'assit à sa coiffeuse pour se brosser les cheveux. Il lui fallut plusieurs minutes pour réaliser qu'elle n'avait pas de reflet dans le miroir. Il n'y avait devant elle que l'image de la chambre vide, plongée dans la pénombre. Au fond, dans le grand lit blanc, une forme sous l'édredon, à peine distinguable dans l'obscurité. Derrière la musique du piano, elle pouvait même entendre le grincement léger du lit qui imitait la respiration d'une personne. Madame Granne n'était pas encore bien réveillée, alors elle haussa juste les épaules. Il y a des choses qu'elle ne pouvait pas comprendre et qu'elle ne comprendrait sûrement jamais, n'est ce pas ?

    Et puis soudain le doute s'immisça dans son esprit. Doucement d'abord, progressivement, jusqu'à ce que l'énormité de la situation lui apparaisse enfin. Elle crut sentir son esprit s'arracher de son corps. Elle voyait la scène d'en haut, comme si elle était accrochée au plafond. Mais elle était aussi devant la coiffeuse, sa brosse toujours à la main, contemplant le miroir qui ne renvoyait pas son reflet. Et n'était ce pas elle, la forme dans le lit qui dormait paisiblement ? La brosse à cheveux tomba à terre et Catherine Granne se précipita vers la fenêtre, dont elle tira les rideaux pour affronter la nuit profonde. En bas, dans la rue, elle pouvait voir un groupe d'adolescents qui ne marchaient plus très droit et qui riaient, inconscients du drame quelques étages plus haut. Le piano continuait de retentir, les sons se réverbérant sur les murs et sur le haut plafond du salon. Madame Granne se précipita dans la pièce et alluma la lumière d'un seul coup. Il n'y avait personne au piano, bien sûr et l'écho d'une dernière note résonna encore dans l'air l'espace de quelques secondes.

    Un long frisson parcourut le dos de la vieille femme. Elle était seule. Complètement seule. Et elle avait peur. Personne ne meurt jamais à Halloween disait Hervé mais qu'en était il de ceux qui étaient déjà morts ? Et si c'était d'Hervé lui-même dont elle avait peur aujourd'hui ? Le mantra sonnait creux dans son esprit aujourd'hui. Elle n'avait plus peur des tueurs psychopathes comme dans les films que regardait son fils, mais de ceux qui l'avaient déjà quitté. Elle entendit à nouveau le lit grincer dans la chambre à l'autre bout du couloir. Et puis la lumière s'alluma dans la cuisine. Elle crut entendre le grésillement du beurre qui fond dans une poêle. N'osa pas quitter le salon pour autant, retraverser le long couloir blanc. Madame Granne se laissa tomber sur le tabouret du piano et rabattit d'un coup sec le couvercle sur le clavier. Il y avait comme une odeur d'œufs dans la maison désormais. Mais il n'y avait personne. Il ne pouvait y avoir personne. Il était deux heures du matin la nuit d'Halloween et il ne pouvait pas y avoir qui que ce soit chez elle.

    Si on lui avait demandé la veille ce qu'elle ressentirait si elle devait revoir son défunt mari, elle aurait dit qu'elle pleurerait de joie. Mais cette nuit, les choses étaient différentes. Son mari n'était pas vraiment là. Il n'y avait personne au piano et de toute façon Hervé n'aimait pas jouer les valses, il les trouvait trop répétitives. Il n'y avait pas de reflet dans le miroir de la coiffeuse et de toute façon, elle savait qu'elle était encore au fond de son lit. Il n'y avait personne dans la cuisine entrain de faire cuire des œufs car elle n'en avait pas acheté depuis plus d'une semaine.

    Madame Granne voulut hurler, seulement pour remarquer que l'air lui-même autour d'elle semblait avoir changé. Il faisait plus froid, et sans qu'elle puisse vraiment l'expliquer, l'air semblait plus dense. Il formait un manteau glacé autour d'elle qui se resserrait encore et encore. Elle pouvait sentir les deux bras du fantôme qui l'enserrait, le souffle glacé de l'entité dans son cou et sur sa nuque. La valse avait recommencé à retentir sur le piano et elle n'était plus dans le salon. La musique s'affola et elle crut s'envoler à travers l'appartement. Le fantôme dansait et elle ne pouvait pas le suivre. Elle ne connaissait plus les pas, si elle les avait jamais connu.

    Et puis soudain la musique s'arrêta brutalement. Madame Granne sortit de son lit, encore hébétée de sommeil. Elle entendait son fils dans la cuisine qui devait être venu lui faire son petit déjeuner et prendre le café avec elle. Elle se dirigea donc vers la cuisine à petits pas, essuyant d'un revers de main le souvenir d'un baiser comme une plume sur ses lèvres ridées. 


    votre commentaire