• Le cadavre

    A vous de me dire : Assassin ou médecin légiste ?

    L’homme retira d’un geste blasé les gants de latex couverts de sang qui lui recouvraient les mains. Il les jeta machinalement dans la corbeille à l’entrée de la pièce avant de se retourner vers son collègue, encore penché sur le cadavre.

    « On n’en tirera plus rien, tu peux le laisser là. »

    Il se rendit dans la petite salle de bains attenante. Arrivé devant le miroir, il grimaça. Des cernes violets avaient apparu sous ses yeux et ses joues s’étaient encore creusées depuis la dernière fois qu’il s’était regardé dans un miroir. Et ça ne correspondait pas à tant de temps que ça. Il ressemblait à un mort vivant, et il se sentait comme tel. C’était à force de fréquenter les cadavres. Mais ça, il ne pouvait pas s’en plaindre. Il l’avait choisi. Il secoua la tête pour chasser les idées macabres qui y flottaient, s’aveuglant à l’idée que cette fois ci peut être, elles ne reviendraient pas. Se lava les mains à l’eau glacée, pour sentir le froid lancer des éclairs jusque dans ses bras et engourdir le bout de ses doigts. Il passa la main dans ses cheveux roux, sales.

    « Bon, on y retourne… »

    Se marmonna t’il à lui-même, avant de faire demi tour sans lancer un dernier regard  à son pâle reflet dans le miroir crasseux. Dans la grande salle, le corps reposait toujours, ensanglanté, pâle et plus hideux encore que ce que l’homme avait entraperçu de lui-même quelques minutes auparavant. C’était une femme, vieille, plus de 80 ans. Les cheveux blancs épars sur son crâne, sa peau ridée avait marqué les coups plus que sur une personne plus jeune. Ce fut une grande joie que de le découvrir. Elle flottait dans une robe jaune trop grande pour sa maigre stature, une tâche rouge sombre s’agrandissant encore au niveau de sa poitrine jusqu’à ce que le tissu saturé de sang ne laisse tomber les premières gouttelettes sur le sol poussiéreux du petit appartement.

    « Tout a été nettoyé, plus aucune trace de ce qui s’est passé à part le corps ? »

    Son partenaire acquiesça, désignant une pile de sacs plastiques emplis de pièces à conviction derrière lui. Il n’avait jamais été très éloquent de toute façon, mais l’homme avait pris l’habitude du mutisme de son compagnon de galère. C’était presque rassurant.

    « Bon, eh bien, je pense que la journée est finie pour nous alors. Tu sais où tu dois mettre tout ce bazar » -dit il en désignant les sacs plastiques- « Moi je rentre. Bonne soirée. »

    L’autre acquiesça à nouveau et l’homme quitta l’appartement. Par la suite, après s’être arrêté pour se changer, il se retrouva dans les transports en commun, pensant au corps qu’il avait abandonné dans le petit appartement poussiéreux. D’autres hommes viendraient après lui, prendraient le corps. Et tout le monde continuerait sa vie. Il pensa à sa femme et son fils qu’il rejoignait pour le dîner, et comment faire pour continuer à avoir une vie de famille normale, quand des cadavres de petites vieilles dames se mettaient dans le chemin. Il soupira, se tordit les mains nerveusement. Plus qu’une station et il était arrivé. Il pensa à son camarade et se demanda si lui aussi était hanté par tout ce sang, parfois. Ce n’était pas la première fois qu’il faisait ce genre de choses, et ce ne serait pas la dernière. Mais il n’aimait pas ça. Il connaissait des « collègues » qui aimaient vraiment leur boulot, pour lui ce n’était qu’un gagne pain, il faisait abstraction du sang et des bleus qui se formaient sur le corps de la vieille dame en pensant à l’argent qu’il y avait à gagner à la clé. Oui. Il s’achèterait peut être une nouvelle voiture, l’ancienne avait rendu l’âme il y a plus de deux ans maintenant. Il n’aurait plus besoin de prendre les transports en commun, il serait autonome.

    Le train chuinta en s’arrêtant et l’homme descendit du métro. Il ferma les yeux, secoua la tête pour oublier les yeux vitreux de la vieille dame et se prépara pour une nouvelle soirée en famille.


  • Commentaires

    1
    Haza
    Dimanche 3 Avril 2016 à 11:27

    Policier, je dirais, avoir une famille quand on est assassin c'est risqué quand même ! Mais le texte garde l'ambiguïté, donc c'est parfaitement arbitraire comme déduction. C'est intéressant, comme principe, ça me fait penser au unreliable narrator !

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    2
    Dimanche 3 Avril 2016 à 11:29

    J'adore les unreliable narrators. Ca apporte tellement à l'histoire... Et puis qui te dit qu'un assassin ne peut pas avoir de famille. Les monstres les plus terrifiants sont ceux qui ressemblent à Monsieur Tout le Monde. Après, c'est ton choix, moi en l'écrivant, je ne sais pas qui est le personnage.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :