• A vous de me dire : Assassin ou médecin légiste ?

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  •             Là, sur les pavés, au beau milieu des regards indifférents d'une foule trop pressée, elle dansait, comme la petite poupée tournoyante dans les coffres à bijoux de notre enfance. Chacun de ses pas résonnait comme le grandiose d'un pas jeté, chaque inclination de sa tête semblait l'amorce d'un cambré. Elle jouait avec le temps et l'espace, les distordant à l'envie, funambule en équilibre sur un fil invisible. Elle vivait à son propre tempo, au rythme de la mélodie grinçante d'une antique boîte à musique, qu'on aurait oublié de remonter, sur le point de s'arrêter. Elle était restée dans le monde des enfants. Petite de taille, mince de stature, aux formes encore juvéniles malgré les traits tirés, trop adultes, de son visage. Les ateliers ne prenaient jamais le temps qu'il aurait fallu accorder aux détails du visage : moulures de plastique incertaines, peinture décalée par rapport à son canevas. Cette aura innocente qui l'entourait, aussi, la surprise enfantine face à un monde qu'on découvre pour la première fois, un choc puéril qui nous ferait grimacer. Qui nous agace. Elle n'aurait pas du quitter le coffre à jouets. Elle n'était pas à sa place ici. C'était dangereux pour elle dehors. Jusque là, elle n'avait jamais rien connu d'autre que la boite à musique, tout au fond du coffre à jouets. Elle ne connaissait que le rouge velours qui tapissait les murs de sa petite maison de bois, le miroir encastré dans une des parois qui lui renvoyait son image virevoltante quand on soulevait le couvercle, la lumière étincelante réverbérée par les chaînes d'or et d'argent jetées pêle-mêle au fond de l'écrin écarlate. Elle avait toujours vécu dans cette cage sertie d'or et désormais détournait pudiquement ses yeux meurtris par le vent glacial, qui faisait monter les larmes derrière ses paupières fébriles. Elle avait eu besoin de sortir, d'échapper à la réflexion impitoyable de son image qui tournoyait encore et encore dans la boîte à musique. De fuir la mélodie damnée, ancrée à jamais dans son cerveau de plastique. Et la voilà qui se cachait le visage dans son manteau trop grand, dissimulant son habit de ballerine. Elle tirait un pan du vêtement jusque ses yeux, regard alerte et affolé d'un animal acculé. Elle vacillait sur des jambes trop maigres et on aurait cru que la moindre bourrasque de vent aurait suffi à ébranler son équilibre trop fragile. A bien la regarder, elle tenait plus de l'animal que de la femme. Chat errant, émacié, tremblotant dans les ruelles à la recherche d'une main amie, grue hissée haute sur ses pattes, petite colombe tremblant de froid quand vient l'hiver. Elle avait été moulée selon des standards de beauté ridicules, ses jambes ridiculement longues comme deux longues baguettes qui risquaient de se briser à tout moment, son corps bien trop maigre pour accueillir tous les organes normalement nécessaires à la survie. Mais c'était normal, n'est ce pas ? Elle n'était qu'une poupée. Elle était toujours tenue par la tige de métal qui la faisait tournoyer, elle n'avait pas besoin de marcher. Elle n'était qu'une bête poupée de plastique, elle n'avait pas besoin de vivre.


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