• Deux hommes s'avançaient sous la chaleur torride du désert, la tête baissée, courbés contre le soleil de plomb. C'était une pluie de métal qui leur tombait sur le dos sous la forme des rayons de soleil qui brûlaient la peau et grillaient la chair sans pitié, qui les empêchaient de se relever. Ils n'avaient plus la force de lever les yeux pour embrasser le paysage qui se déroulait devant eux. Ils le connaissaient de toute façon. Des dunes de sable à perte de vue, ici ou là des rochers qui ressortaient de la mer déserte, et si on ne faisait pas attention, la chaleur faisait apparaitre de douces images dans le lointain, image d'eau pure et limpide comme du cristal, de bras bienveillants prêts à les accueillir. Ils savaient tout cela et plus encore, ne se fiant plus à la chaleur traitresse. En fait, ils pouvaient dire qu'ils connaissaient beaucoup de l'Egypte, peut être même plus que les habitants eux mêmes. Ils avaient cherché, fouillé, creusé, ils avaient découvert. Plus rien de tout cela n'importait désormais. Aucun artefact ne les ferait sortir du désert, aucun plan, aucune connaissance des lieux ne feraient s'envoler leurs pas pour les ramener à la civilisation. Rien n'avait d'importance désormais, et ils marchaient sans réfléchir, s'arrêtant seulement quand l'un d'entre eux butait contre un rocher, ou, plus rarement, contre une carcasse dévorée par les vautours, défaisant l'habile assemblage des os étincelants.

    "On est foutus, hein ?"

    Demanda l'un d'une voix rendue rauque par la déshydratation. Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient plus d'eau.

    "Ca fait longtemps qu'on a plus d'eau de toute façon."

    Silence.

    "Ouais. Je crois qu'on est foutus."

    La voix de l'autre étaitpresque inaudible, passant avec peine ses lèvres craquelées, les faisant saignoter à nouveau. Il suçota avidement le sang qui perlait mais le sang sécha rapidement pour ne rien laisser d'autre qu'une nouvelle croute. 

    La chaleur leur montait à la tête. Les mirages se multipliaient. Là un oasis, ici des parents proches, là encore une voiture pour les ramener à la réalité. Ils avaient même perdus un dromadaire au passage, une vilaine plaie qui s'était infectée.

    "On ne peut pas s'en sortir, on n'a plus de dromadaire..."

    "Ah."

    "Tu crois qu'on va mourir ?"

    L'autre eut un temps de réflexion avant de s'arrêter de marcher pour se tourner vers son camarade : 

    "Probablement."

    Et ils reprirent leur route, aveugles dans la lumière éblouissante, aphones en manque d'eau, sourds du sang qui battait dans leurs tympans.


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  • Dans la forêt profonde, elle s'asphyxie à l'ozone

    Peau brune d'Andalouse, posture fière d'Amazone,

    Des larmes vierges et sauvages sur ses joues farouches,

    Attente insupportable qui meurt à sa bouche.

    Elle ne pourrait jamais le faire. L'air ne passait plus dans ses poumons, elle s'étouffait, elle mourrait, et personne ne disait rien, ne faisait rien. Elle sentait le regard de ses soeurs dans son dos, impassibles, et devant elle le regard vide de l'homme inanimé. Elle ne put empêcher le premier sanglot de monter et serrer sa gorge. 

    "Tu as prêté serment. C'est ton devoir. Pas d'homme dans le camp."

    La voix ferme de sa soeur qui lui tendait avec insistance la lame sacrificielle. Elle avait toujours respecté son serment jusque là. Même quand les hommes étaient venus de la mer, qu'ils avaient réclamé l'asile, lui avaient promis de la sauver de celles qu'ils appelaient une "bande de sauvages". Elle avait voulu rester alors, continuer à vivre parmi les fières guerrières. 

    Premiers mouvements, à peine visibles, de l'homme qui se réveille. Ca avait été son tour de devenir mère, pour assurer la pérennité de la tribu. La chose avait toujours été très bien réglée. On allait dans le village d'à côté, on séduisait un homme pour une nuit, et on disparaissait sans jamais le revoir. Et puis, elle avait voulu être originale. Elle avait été voir un des hommes de la mer.

    Le corps de l'homme était désormais secoué de petits tressautements alors que ses muscles reprenaient conscience. Ses paupières s'entrouvrirent légèrement mais il n'était pas suffisamment conscient pour savoir ce qui se passait. Elle avait du supporter l'opprobre des plus anciennes mais elle expliquait à quiconque voulait bien l'entendre qu'ainsi elle renforçait la lignée, la rendant immune à des maladies qu'elle même ne connaissait pas. Et on l'avait cru.

    Finalement, il ouvrit les yeux et elle les vit, encore groggys de sommeil, parcourir paresseusement le paysage. Et puis d'un coup. Dilatation des pupilles, affolement de la rétine. Il avait compris. Elle avait rempli sa part du marché mais contrairement aux hommes du village, l'homme du port ne connaissait pas les traditions amazones. Il avait voulu la revoir. Une fois, deux fois, trois. Les soeurs en avaient eu assez. Maintenant qu'elle portait un enfant, disaient elles, elle ne devait pas être distraite de la cause amazone pour les histoires futiles d'un homme qui croyait en l'amour.

    Alors que l'homme se repiai sur lui même, sachant pertinamment qu'il n'avait aucun moyen de s'échapper, elle sentit l'enfant dans son ventre se recroqueviller aussi, mais préféra ne pas porter attention à l'être qui grandissait en elle. Tout était de sa faute. Elle serra dans sa main la lame ondulée, au manche de bois lié de cuir.

    "Isolée du monde, je suis solitaire,

    Pour le salut de mes soeurs je suis meurtrière,

    Face aux hommes destructeurs, je suis guerrière,

    Que le règne des Amazones perdure aujourd'hui comme hier."

    Elle avait prononcé le serment pour la première fois quand elle avait douze ans. Depuis, chaque femme du camp se le répétait dans les moments difficiles. Pour se donner du courage. Se rappeler leurs valeurs. La dague trop lourde dans sa main semblait l'ancrer dans le sol et elle sentait ses pieds nus s'enfoncer dans la terre meuble. Elle pouvait distinguer chaque petit caillou sous la plante de ses pieds, et le vent qui faisait remuer sa robe de lin, la plaquant contre ses jambes. Elle était paralysée.

    "Tue le !"

    Les soeurs commençaient vraiment à s'impatienter. elle jeta un regard en arrière pour apercevoir la rangée parfaitement ordonnée des jeunes femmes au visage dur, les cheveux noirs au vent, certaines bien plus avancées dans leur grossesse qu'elle. Mais elle devait efaire. Au fond, elle savait qu'il s'agissait pour elle d'une dernière épreuve initiatique. N'importe quoi pour faire partie de la communauté.

    L'homme était complètement éveillé, maintenant, il s'était redressé et sa voix éraillée était parvenue à ses oreilles, suppliant au milieu des mots de son serment qu'elle ressassait encore et encore.

    -Isolée du monde je suis solitaire,

    - Habitant des ondes, condamné à te plaire,

    - Pour le salut de mes soeurs, je suis meurtrière,

    - Malgré la peur, je vous salue, mythologique sorcière,

    Face aux hommes destructeurs, je serai guerrière,

    - Fils de comte, élevé par sa grandeur, je ferais de vous une héritière,

    Que le règne des Amazones, perdure aujourd'hui comme hier.

    Vous êtes au pied de mon trône, quand je pourrais faire de vous ma femme, sur mes terres.

    Un éclair de colère dans les yeux noirs sauvages.

    "Vous pouvez bien être souverain, mais seule, je serai reine !"

    Les derniers mots prononcés, elle ressortait la lame de la plaie ensanglantée, laissant l'homme s'affaisser sur le sol, avant de se détourner, avec un air de dégoût. Le sol était saturé de sang, qui coulait en rigoles pourpres jusqu'aux pieds de l'amazone.


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